Chile unitaire mais décentralisé 

Marcelo Carrasco Carrasco

Président de l'Association Nationale des Conseillers Régionaux du Chili

La décentralisation est un sujet de préoccupation au Chili depuis les années 1960 et a fait l'objet de diverses améliorations qui se sont traduites par des modifications de la législation pertinente ou par la création administrative de nouveaux instruments décentralisés d'investissement public, mais toutes ces modifications sont superficielles. Aujourd'hui, il existe un consensus sur le fait que la centralisation politique, administrative et économique extrême au Chili est un frein au développement du pays, comme l’a souligné l’OCDE récemment. Cette centralisation a été largement documentée par divers acteurs du monde universitaire, de la société civile et des institutions publiques. À titre d'exemple, nous citons le document « Making decentralization work in Chile » (2017). Il s'agit donc d'une question qui devrait figurer à l'ordre du jour de tous les acteurs politiques, en particulier les parlementaires des régions, et qui doit progresser à un rythme soutenu vers une plus grande décentralisation du pays, ce qui représente une tâche prioritaire.

Il y a deux années, la Commission consultative présidentielle sur la décentralisation et le développement régional a élaboré une « Proposition de Politique d’État et d'Agenda pour la Décentralisation et le Développement Territorial au Chili », au quelle ont largement participé différents acteurs de l'ensemble du spectre politique et de la société civile, ce qui constitue une contribution précieuse et essentielle pour canaliser l'analyse technique mentionnée ci-dessus. Cependant, à mon avis, ce document très pratique et cohérent n'a donné lieu qu'à un seul point de départ et il faut aller plus loin sur des questions essentielles telles que le transfert de compétences, la gestion territoriale et la décentralisation financière de ce que l'État investit dans nos régions.

Si ce processus de discussion et de mise en œuvre des politiques publiques n'est pas développé d’une façon adaptée, elles peuvent produire des effets profonds à moyen et long terme. Des réformes de ce type nécessitent une analyse technique rigoureuse, après un débat parlementaire très sérieux. La littérature décrit plusieurs cas de réformes en faveur de la décentralisation, mises en œuvre en Amérique Latine et en Afrique, et dont les résultats ont été bien en deçà des attentes, et le Chili, à l'heure actuelle, avec le niveau de progrès qui conduit à la mise en œuvre d'initiatives timides ne fait pas exception.

Un exemple du pouvoir de la centralisation au Chili est que les régions peuvent uniquement dépenser librement pour définir leurs propres projets 811 millions de dollars par an. Cela équivaut à 1,18% du budget national, un chiffre qui met en garde sur l'importance de bien définir le transfert des compétences du niveau central et son impact potentiel sur la qualité de vie des citoyens des régions.

Par ailleurs, si l'on considère uniquement les ressources des fonds destinés aux régions, tels que le FNDR ou le programme miroir Transantiago, seulement 44% de ce total est librement disponible dans la région. C’est étonnant que sur les fonds qui ont été créés pour décentraliser le pays, seulement 44% aient une expression régionale.

Depuis ANCORE nous avons toujours souligné que s'il n'y a pas un réel transfert de pouvoirs du gouvernement central aux régions pour gérer le budget, tout autre changement introduit aura peu de contenu et un faible niveau d'impact sur la gestion régionale. Dans ce sens-là, nous pensons que le renforcement de la régionalisation doit être perfectionné. Ainsi, nous continuerons à travailler au renforcement du rôle des conseillers régionaux et en même temps pour que nos régions dans un état unitaire puissent décider de leur propre destin.

D'autre part, au moment où des mesures de décentralisation sont mises en œuvre, comme l'élection des gouverneurs régionaux en 2020, la concession de nombreux acteurs que si ces gouverneurs élus par les citoyens ne s'accompagnent pas d'un réel pouvoir décisionnel des régions sur les ressources dont elles disposent pour exécuter les projets. Il s'agira d'un personnage décoratif à faible résolution qui s'éloignera plus rapidement des solutions potentielles pour les citoyens vivant dans les régions, accentuant le centralisme et éloignant les citoyens de ceux qui font les politiques publiques. 

Aujourd'hui, les gouvernements régionaux reçoivent des ressources par le biais de divers fonds. Le plus ancien est le Fonds National de Développement Régional (FNDR), auquel se sont ajoutés le Fonds d'Innovation pour la Compétitivité, qui transfère les ressources de la redevance minière ; le Fonds de Soutien aux Régions, qui est le programme miroir de Transantiago; le Fonds d'Investissement et de Reconversion Régional, qui transfère les ressources de la taxe spéciale vers les mines; le Fonds pour les Infrastructures Éducatives et les Programmes de Convergence récemment créés, visant les zones en retard du pays.

Mais sur la répartition de ces fonds, qui ont un caractère décentralisateur, uniquement un 44% (811 millions de dollars) sont librement disponibles dans la région. La grande majorité de ces ressources arrivent aux régions avec un but défini déjà par le gouvernement central à travers les ministères et les directions des services nationaux, qui sont souvent armés d'une vision centraliste non seulement dans la prise de décision, mais aussi dans les critères d'exécution, à des niveaux de critères territoriaux et en tenant moins compte des réalités locales. Même en ce qui concerne la mise en œuvre de ces ressources, les régions ont un espace limité pour déterminer librement leur destination.

En ce qui concerne le financement, nous estimons que cela devrait être conforme au transfert de compétences, dans le cadre d'un processus progressif et soutenu. S'il s'agit d'impôts régionaux, nous pensons qu'il est raisonnable d'avoir un fonds mixte dans lequel un pourcentage reste dans la région, et un autre est utilisé par l'état pour générer pour les gouvernements régionaux un fonds de solidarité avec équité territoriale, en tenant compte des facteurs pertinents. De même, un tel financement doit tenir compte non seulement de la question financière, mais aussi des coûts associés au traitement de chacun des financements générés dans ce processus de transfert de compétences.

En ce qui concerne le FNDR, nous estimons qu'il devrait être librement disponible et distribué par les gouvernements régionaux et non par le gouvernement central, qui décide déjà sur plus d’un 90% de l'investissement régional total. La loi budgétaire devrait sans aucun doute fournir un cadre général permettant aux gouvernements régionaux de structurer leur budget en fonction de leurs réalités.

Le modèle actuel d’état et ses instruments de soutien sont pour la plupart obsolètes pour le XXIe siècle. Les différentes demandes des citoyens ont été sophistiquées et articulées de telle sorte que, la plupart du temps, elles ne correspondent pas aux besoins des bénéficiaires et ses attentes. Et ce qui est encore pire, elles ne résolvent pas les problèmes posés dans leur intégralité, offrant des solutions partielles ou très loin des problèmes réels. C'est pourquoi, en tant qu'Ancore Chile, nous continuerons à travailler pour un état moderne, efficient et décentralisé qui s'occupe des problèmes mais aussi des opportunités que nos territoires ont. On souhaite que le citoyen aperçoive vraiment que les processus de décentralisation font la différence et que l'état est vraiment là pour améliorer la qualité de vie de ses citoyens.

 

 


© All rights reserved ORU. Barcelona 2024