Repenser le rôle des différentes sphères du gouvernement
Dans des moments comme aujourd'hui, où tout ce qui nous entoure change et se modifie de manière souvent irréversible, nous devons nous demander si les modèles de gouvernance que nous avons utilisés sont les plus appropriés. La combinaison de l'évolution technologique profonde, de la mondialisation économique et de l'intensification des signes de risques écologiques et sanitaires laisse peu de place à la lucidité ou à la simple rhétorique sur la nécessité de transformer nos systèmes de gouvernement. Madeleine Albright (ancienne secrétaire d'État de l'administration Clinton) avait l'habitude de dire que nous faisons face à des problèmes du XXIe siècle avec des idées du XXe siècle, en utilisant des instruments du XIXe siècle. Au-delà de la simplification qu'entraîne toute synthèse de ce type, ce qui est certain, c'est qu'il existe un décalage entre l'incertitude et la complexité dont nous souffrons et l'insuffisance notable des idées ou l'obsolescence évidente des instruments de décision et de mise en œuvre utilisés par les différentes sphères de gouvernement.
L'une des inadéquations les plus visibles est celle qui existe entre l'hétérogénéité sociale croissante et la traditionnelle "efficacité indifférente" qui caractérise les actions des administrations publiques. De plus en plus, la diversification des identités, des choix de vie et la forte demande de reconnaissance de chaque personne dans sa manière différente d'être sont un signe de l'époque dans laquelle nous vivons. La qualité des services auxquels toute personne a accès se mesure désormais à leur personnalisation, et non plus à l'homogénéité avec laquelle ils sont conçus et exécutés. Si, aux XIXe et XXe siècles, la grande tension entre les valeurs se situait dans le conflit entre l'égalité et la liberté, au XXIe siècle, l'idée que l'égalité ne peut impliquer une stricte homogénéité de traitement s'est consolidée. Le contraire de l'égalité est l'inégalité, et le contraire de l'homogénéité est la diversité. Aujourd'hui, la tension se situe donc davantage entre la valeur de l'autonomie personnelle, la demande d'égalité et la reconnaissance de la diversité.
C'est précisément dans ce contexte que la valeur de la proximité prend tout son sens. Il est vrai que lorsque le sentiment de risque et d'incertitude prédomine, et que le marché n'offre pas de garanties suffisantes pour une grande majorité de la population, les gens cherchent à se protéger. L'État a traditionnellement été cet instrument de protection collective. Et aujourd'hui, en période de pandémie, il a de nouveau joué ce rôle, avec toutes les différences et particularités de chaque scénario national. Cependant, la sphère étatique finit inévitablement par exercer cette nécessaire tâche de protection de loin, de manière hiérarchique et patriarcale (c'est-à-dire avec des formes de prescription non empathiques et non partagées). En outre, comme nous l'avons déjà mentionné, l'instrument d'action essentiel de l'État est l'administration publique, qui agit selon des critères d'efficacité et de non-discrimination, tombant souvent dans la confusion entre égalité et homogénéité.
Dans ce scénario, le rôle des gouvernements territoriaux, locaux et régionaux acquiert une importance particulière, car ils intègrent la proximité comme une valeur ajoutée, c'est-à-dire la capacité de s'adapter à des réalités, des groupes et des situations personnelles différentes. Ils permettent également d'exercer de manière articulée et coopérative l'articulation nécessaire des ressources provenant de logiques juridictionnelles différentes. De loin, la transversalité et l'intégralité, si nécessaires pour apporter une réponse protectrice aux situations et problèmes complexes, sont très compliquées. Et c'est ça précisément la grande valeur différentielle des gouvernements territoriaux qui sont les plus proches des citoyens.
Tout ceci indique que nous devrions renforcer de manière significative les compétences et les ressources des sphères gouvernementales les plus proches des citoyens et de leurs problèmes de plus en plus complexes. Toutefois, à cet égard, il ne faut pas tomber dans la logique qui oppose centralisation et décentralisation des pouvoirs et des ressources publiques, mais plutôt essayer d'analyser la spécificité de chaque question et de la placer au niveau de gouvernement qui peut le mieux la traiter. La pandémie elle-même a mis en évidence la nécessité d'un cadre décisionnel supra-étatique qui concentre les capacités des gouvernements sur des questions nécessitant un mélange approprié de connaissances spécialisées et de portée supra-territoriale face à des phénomènes qui ne connaissent pas de frontières. Les États continuent d'être absolument nécessaires dans les questions de planification et d'évaluation, et pour cela ils doivent disposer de systèmes d'information qui leur permettent non seulement un suivi constant des questions mais aussi la capacité de déléguer des sphères territoriales de gouvernement sans perdre le contrôle dans leurs sphères nationales-territoriales. Les sphères de gouvernement infra-étatiques, en particulier les gouvernements locaux, si elles ont la dimension territoriale appropriée, peuvent être la clé pour assurer ce mélange spécifique de protection, capable d'une part de reconnaître la diversité et, d'autre part, de générer des réponses transversales et partagées.
L'époque dans laquelle nous vivons exige des approches innovantes qui, dans le même temps, génèrent une dose de confiance dans une population qui se sent sans protection et craintive face à un avenir incertain. Les défis auxquels nous sommes confrontés, qu'ils soient environnementaux, économiques ou sociaux, exigent un changement des modèles traditionnels de gouvernance et de gestion des affaires publiques. Il n'y aura pas de réponses efficaces qui ne recherchent pas l'implication citoyenne de proximité, et donc la présence appropriée du territoire et de ses sphères de gouvernement.