Le débat territorial en Espagne

Au moment de l’envoi de cette Newsletter, un nouveau parlement espagnol, issu des élections du 20 décembre dernier, sera en train de se constituer. La difficulté qu’en sorte un gouvernement est grande, pour ne pas dire, très grande. De nombreux commentateurs politiques ont déclaré que nous nous trouvons face à une seconde transition, la première ayant eu lieu au cours des années où l’on est passé de la dictature de Franco à la démocratie.

La nouvelle situation rompt avec le système bipartite du Parti Populaire (PP) et du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE), avec l’irruption du parti de gauche Podemos et de Ciudadanos. On entend parler de nouvelle politique, tandis que le climat ambiant exige de la transparence, face aux cas de corruption des partis traditionnels.

Tout autant que par le dépassement du bipartisme et l’exigence de transparence, ce moment est aussi déterminé par le débat territorial et particulièrement par le projet indépendantiste qui a pris corps en Catalogne, depuis qu’une sentence du Tribunal Constitutionnel a désarmé un Statut d’Autonomie approuvé en 2006, suite à un travail laborieux.

Pendant des années, le système « autonomique » espagnol a fait figure de référence, aussi bien pour son important degré de décentralisation que pour la sensation qu’il a été fondamental dans le réveil du développement économique – y compris — des régions les moins développées. Le résultat de ce qui a été conçu à partir de la Constitution de 1978 est, de toute façon, remis en cause par l’ensemble des acteurs.

D’un côté, le PP veut mettre un frein au développement autonomique. Il faut mettre un point final, dit-il, à la transmission de compétences qui conduit à ce que l’État ne soit plus que « résiduel ». Il parie sur un État central fort, fondé sur la Nation espagnole, avec la Constitution comme unique source de légitimité. C’est avec ces prémisses que le PP avait déjà été l’initiateur de l’inconstitutionnalité du Statut catalan. 

Déjà, le PP de Mariano Rajoy au sein du gouvernement espagnol a refusé la négociation proposée par le gouvernement catalan, y compris la demande d’une amélioration du financement de l’autonomie. L’un de ses ministres avait déclaré que les écoles catalanes devaient « espagnoliser » les enfants catalans. Pendant ce temps, en 2012, était créée la Commission pour la Réforme des Administrations Publiques, laquelle prétendait, dans l’objectif « d’éviter les doublons », supprimer des organismes et des compétences autonomiques. Enfin, au cours de la dernière ligne droite de son mandat, le parti a approuvé, sans aucun autre soutien politique que celui de ses propres députés, une réforme du Tribunal Constitutionnel octroyant à ce dernier la possibilité de suspendre des fonctionnaires et gouvernants autonomiques.

Face au PP, le PSOE défend une réforme constitutionnelle et une sortie fédérale. Son secrétaire général, Pedro Sánchez, a été le porte-drapeau de cette position. Mais, le fait que le PSOE, lorsqu’il était au gouvernement, n’ait franchi aucun pas vers le fédéralisme, lui retire une certaine légitimité. Il faut en outre prendre en compte le fait que, parmi ses barons autonomiques, il existe des divergences de points de vue. Tandis que la présidente andalouse Susana Díaz se veut le garde-fou contre tout excès pouvant émaner de la Catalogne, le valencien Ximo Puig ou la présidente des Baléares Francina Armengol réclament une amélioration du financement de leurs autonomies dans des termes qui ne sont pas si éloignés que ce qu’exprimaient les Catalans… avant de parier en faveur de la souveraineté.   

Le président Mariano Rajoy est celui qui a recueilli le plus de suffrages le 20 décembre, mais avec une majorité insuffisante. Ainsi propose-t-il une grande coalition avec le PSOE et Ciudadanos. Étant données les crispations qui ont jalonné la campagne électorale, cette « Große Koalition » à l’espagnole ne devrait pas avoir ses chances. Cependant, elle n’est pas à exclure face à ce que l’on appelle le « défi catalan ». Rajoy n’a pas d’autre possibilité, et c’est ainsi qu’il pose le problème.

Pedro Sánchez, de son côté, pourrait former un gouvernement avec l’appui de Podemos et de partis nationalistes catalans et basques. Cependant, le leader de Podemos, Pablo Iglesias, a posé comme condition de son soutien que soit autorisée la tenue d’un référendum d’autodétermination en Catalogne. Sánchez, et surtout la présidente de l’Andalousie, n’est pas disposé à accepter ce point. Mais c’est de toute façon la clé pour la formation d’un gouvernement, et il faut donc se demander : Sánchez acceptera-t-il la réalisation du référendum ou Podemos oubliera-t-il son engagement électoral ?

Pour parachever le panorama, il faut évoquer Ciudadanos. Chantre de la nouvelle politique, son leader Albert Rivera ne se différencie pas beaucoup, lorsqu’il évoque ces thèmes, de Rajoy et du PP. Dans certains cas, il va même encore plus loin. Il défend, par exemple, la suppression du « privilège » du « coupon » du Pays Basque et de la Navarre, une singularité historique qui permet à ces régions de lever leurs propres impôts. Rivera considère que, tout comme dans le reste de l’Espagne, c’est à l’État espagnol de prélever l’impôt. Toutefois, Rivera, fait le pari d’une réforme constitutionnelle et d’une réforme du système de financement autonomique pouvant octroyer plus de ressources aux autonomies dans les domaines de la santé et de l’éducation. 

En définitive, il s’agit là d’un sacré défi. Nul ne sait comment il va s’incarner. Ce qui est certain, en revanche, c’est que cette Espagne des autonomies, qui fut un modèle des années durant, risque d’être chamboulée pendant un certain temps.


Carles Llorens

Secrétaire général de l’ORU-Fogar


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