L'acces a une eau potable et saine: une urgence absolue pour les territoires et les populations

Alain-Richard DONWAHI 

Président de la COP 15, CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES SUR LA DÉSERTIFICATION et Président du Conseil Régional de Nawa, Côte d'Ivoire

Tracez des routes, permettez l’accès à l’électricité, offrez des opportunités économiques : s’il n’y a pas d’eau, rien n’est possible. L’eau est essentielle à la vie, à la prospérité des Etats et des territoires, à la santé des populations et de la planète. Or, sur la question de l’accès à une eau potable et saine, les chiffres sont accablants. Aujourd’hui, ce sont plus de 2 milliards de personnes dans le monde qui n’ont pas accès à une eau potable. On estime que, sur l’ensemble de la planète, 1,8 milliard de personnes dans le monde utilisent une eau contaminée par les pesticides ou les matières fécales. Près de 2 milliards de personnes utilisent une source d’eau potable contaminée par des matières fécales. Il faut savoir aussi que plus de 80 % des eaux usées sont rejetées dans la nature sans aucune dépollution et que ces eaux usées tuent plus que les guerres ou le terrorisme. Dans les pays en développement, les budgets alloués à l’eau, l’assainissement et l’hygiène restent insuffisants, et l’accès à des services d’approvisionnement en eau et d’assainissement sûr et fiable, de façon continue, n’est pas assuré. Selon les projections pour 2050, une personne sur quatre est susceptible de vivre dans des pays affectés par le stress hydrique et des pénuries d’eau.

Il nous faut donc agir, afin que l’ensemble des habitants de la planète aient un accès à une eau saine d’ici 2030. Consacrée à l’examen approfondi, à mi-parcours, de la réalisation des objectifs de développement durable, la Conférence de la Décennie des Nations unies de l'eau 2023, qui a pour thème « L’eau et le développement durable », part du constat suivant : les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs et cibles liés à l'eau sont loin d'être satisfaisants, ce qui impacte négativement l'ensemble du programme de développement durable. L’objectif de cette Conférence des Nations Unies sur l'eau 2023, la première conférence sur l’eau de cette ampleur organisée aux Nations unies depuis 1977, est de proposer un programme particulièrement ambitieux d'actions multisectorielles sur l'eau afin d’amplifier l’engagement de la communauté internationale, de chaque Etat dans les grandes orientations des politiques publiques et des régions dans le but de  permettre l’accès l’eau pour toutes les populations et préserver cette richesse naturelle, qui est un bien commun, Comme tous les biens communs, sa valeur est bien supérieure à sa valeur marchande.

Nous devons donner à la gestion durable des ressources en eau douce une impulsion nouvelle autour de trois piliers : le développement des mécanismes d’accès à l’eau et des installations globales, les partenariats techniques et financiers et la coopération internationale. À l’heure où l’accès à l’eau potable se complique avec une démographie globale qui ne cesse d’augmenter, des ressources en eau qui se raréfient, nous devons mobiliser tous les acteurs publics et privés en charge de la gestion des réserves en eau potable de la planète. Faut-il rappeler que 97,5% de l’eau disponible sur le globe est salée. Il ne reste donc que 2,5% d’eau douce, dont 1,5% sous forme de glace. Nous devons donc mettre en œuvre des mécanismes qui vont permettre de recenser, analyser et évaluer toutes les initiatives prises partout sur la planète afin de développer les projets de développement durable consacrés à l’eau à partir de la question suivante : comment protéger et gérer durablement nos réserves en eau douce ?

Les paramètres nouveaux

Quatre paramètres nouveaux surplombent cette question : 1) La question démographique 2) les guerres de l’eau 3) le réchauffement climatique 4) la désertification, la dégradation des sols et la sécheresse.

1) La démographie galopante

La population mondiale est actuellement de 8 milliards, elle devrait passer à 9,7 milliards en 2050 et atteindre les 11 milliards à l’horizon 2100, contre 8 milliards actuellement. L’Afrique est passé de 100 millions d’habitants en 1900, à 300 millions dans les années 1950-1960, 650 millions en 1990 et à 1,5 milliard en 2022, soit, déjà, 18 % de la population mondiale ; selon les projections démographiques de l’ONU, la population africaine devrait se situer aux environs de 2,5 milliards en 2050 et 4,4 milliards à la fin du siècle, soit plus du quart de la population mondiale. Les terres sèches couvrent 65 % du continent africain et le tiers de cette superficie est  constitué de déserts arides, inhabités. Aujourd’hui, Dans les autres deux tiers, vivent plus 400 millions d'Africains confrontés au stress hydrique et à la pénurie d’eau. En dehors des bouleversements géopolitiques, géoéconomiques et géoculturels, ce boum démographique aura un impact géoécologique non seulement en Afrique, mais aussi à l’échelle de la planète entière.

2) Les guerres de l’eau

Les zones de confrontation pour l'accès à l'eau se multiplient sur les cinq continents, à mesure que la population augmente et que la ressource se raréfie. On comptait récemment 12 points de tension à travers le monde pour l’accès à l’eau, en particulier la gestion des eaux du Nil. Faut-il craindre que nous voyions éclater, au XXIè siècle, des guerres pour  l'« or bleu » entre Etats, même si, depuis l'aube de l'humanité, aucune guerre de l'eau n'a opposé deux nations, excepté entre deux cités-Etats, Lagash et Umma, en Basse-Mésopotamie, 2.500 avant notre ère ? Le manque d’eau dans les années à venir, provoqué par les bouleversements climatiques et démographiques, risque d’entraîner la multiplication de conflits localisés, notamment entre agriculteurs et éleveurs. Pour Franck Galland, auteur de « Guerre et eau », paru aux éditions Robert Laffont, « L’eau est devenue un enjeu stratégique et sécuritaire. Un milliard d’individus vivent dans des zones soumises à pénurie. Ils seront 3.4 milliards en 2030, c’est demain 2030. Il y a une diagonale de Tanger jusqu’au nord-est de la Chine, qui traverse l’Afrique du Nord, le Sahel. 150 millions de Sahéliens ont vu diminuer de 40% leurs ressources en eau depuis 2000. ».

3) Le réchauffement et le dérèglement climatiques

Sous l’impact négatif du réchauffement atmosphérique et des dérèglements climatiques, les catastrophes écologiques se succèdent avec des épisodes de plus en plus aigus : pluies diluviennes, sécheresses exceptionnelles qui accélèrent la désertification et la dégradation des sols. Peut-on encore contenir les impacts du dérèglement climatique et de la sécheresse sur les sols, les rivières et les lacs ? Cette question ne concerne pas uniquement les pays du Sud ou en développement, mais aussi les pays riches. Aux Etats-Unis, après avoir connu une sécheresse exceptionnelle, la Californie est frappée par des « rivières atmosphériques provoquant des pluies diluviennes. Les épisodes de sécheresse aiguë ne sont pas compensés par des pluies dont l’intensité se traduit par des rivières en crue, des glissements de terrain, des villes inondées, des réservoirs sur le point de céder. A l’inverse, l’Ethiopie, la Corne de l’Afrique et la bande sahélienne traversent un dramatique épisode de sécheresse extrême. Les travaux des COP consacrées à la hausse des températures montrent que le réchauffement climatique aggrave la pénurie d'eau. Depuis l'ère pré-industrielle, la planète s'est déjà réchauffée de 1°C ; avec l’ère industrielle, l’exploitation abusive des terres et la déforestation, les températures pourraient encore monter de 2 ou 3 degrés. « Selon les experts du climat de l'ONU (GIEC), à chaque degré supplémentaire, environ 7% de la population mondiale perdrait au moins 20% de ses ressources en eau renouvelable. D'ici 2030, le monde devra ainsi faire face à un déficit en eau de 40% si rien n'est fait pour contenir le réchauffement. Et dans le même temps, la demande mondiale d'eau devrait s'accroître de 55%, sous la pression des métropoles des pays en développement. » (1) On constate que l’accélération du réchauffement climatique impacte de plus en plus négativement les ressources en eau. Pour Piotr Wolski, hydroclimatologue à l'Université du Cap, « le risque d'années sèches augmente à mesure qu'on se rapproche de la fin du siècle et les chances d'années pluvieuses baissent ». On sait désormais que l’accélération du réchauffement climatique va aggraver les risques de pénurie d’eau. C’est déjà le cas dans certaines régions du monde. La Californie a déjà connu une période de sécheresse de 3 ans. En Ethiopie, certaines régions  n’ont pas connu de véritables saisons des pluies depuis six ans.

4) La désertification, la dégradation des sols et la sécheresse

Les questions de désertification, dégradation des sols et sécheresse, qui concernent la COP 15 que je préside, sont évidemment liées à la question du réchauffement climatique, comme elles sont en lien avec la question de la préservation de la biodiversité. Les trois COP (lutte contre le réchauffement climatique, lutte contre la désertification, protection de la biodiversité) travaillent en étroite synergie. Le réchauffement climatique accélère bien entendu le phénomène de désertification. Sur la désertification et la sécheresse, j’ai écrit dans un article consacré au dramatique épisode de sécheresse aiguë en Ethiopie : « Il convient de distinguer « désertification » et « sécheresse », deux phénomènes distincts. Pour simplifier, la « désertification » se définit comme un phénomène de dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches, phénomène causé par les variations climatiques et les activités humaines entraînant une surexploitation et une utilisation inappropriée des terres. La « sécheresse » est le résultat d’une insuffisance ou d’une absence d'eau pendant une longue période, ce qui impacte négativement les sols, la faune et la flore. « Désertification » et « sécheresse » nuisent fortement à la productivité de la terre. Les zones arides, semi-arides et subhumides sèches sont particulièrement touchées Sur les 2,3 milliards de personnes qui sont confrontées à la sécheresse et au stress hydrique, la très grande majorité vit dans ces zones. Ces chiffres, constamment en hausse, inquiètent la communauté internationale qui a pris la mesure de l’impact négatif de la sècheresse sur les conditions de vie des populations qui comptent déjà parmi les plus fragiles et les plus précaires. » Avec la COP 15, nous travaillons sur une mobilisation  Une mobilisation plus forte de la communauté internationale et un appui plus important des partenaires techniques et financiers afin de  mettre en œuvre des mécanismes de lutte efficaces contre la sécheresse. Ces mécanismes incluent des dispositifs pour préserver et gérer plus efficacement la ressource en eau, ce qui est une priorité absolue et un enjeu majeur, transversal et multisectoriel qui ne relève pas uniquement des politiques publiques, mais qui demande un engagement fort du secteur privé et des ONG, dont il faut saluer le travail sur le terrain, au plus près des populations

 

Conclusion

Démographie incontrôlée, réchauffement climatique, agriculture intensive: déforestation, installations vétustes, financements insuffisants, tous ces facteurs font de l’eau une denrée de plus en plus rare et de plus en plus chère. L’eau est aujourd’hui à l’épreuve des changements climatiques, de la désertification et des épisodes de plus en plus aigus de sécheresse. Dans un rapport publié par les Nations unies, les experts considèrent que  près de 52 % de la population mondiale risque de vivre, dans un futur proche, en subissant les effets d’une pénurie d’eau et d’un stress hydrique d’ici 2050.

Les progrès accomplis en matière de développement durable sont réels, même s’il reste encore beaucoup à faire. Nous devons absolument décloisonner les débats afin d’identifier, dans tous les secteurs, les enjeux liés à l’eau. Avec la COP 15, nous avons voulu montrer que la performance environnementale ne peut pas être détachée des performances économique et sociale. L’initiative de la « Grande Muraille Verte » (2), lancée par l’Union Africaine, n’est pas simplement un projet de végétalisation au Sahel d’une longueur de 7 800 km et une largeur de 15 km du Sénégal à Djibouti, c’est aussi un projet qui vise à offrir des opportunités économiques, protéger des modes de vie, préserver des civilisations, favoriser l’émancipation des femmes et de la jeunesse et garantir une paix durable dans des zones où les risques de tensions s’aggravent.

Bien entendu, l’eau est l’un des éléments-clefs, ce n’est pas le seul, de la plupart des dix-sept Objectifs de Développement Durable, que ce soit la lutte contre la faim dans le monde, la lutte contre la pauvreté, la lutte contre la désertification et la dégradation des sols et de l’état de l’océan. Le constat que fait ONU-EAU est le suivant : « plus les températures s’élèvent, plus la demande en eau grimpe et plus l’évaporation s’accentue, privant les sols de leur humidité. » L’évidence du diagnostic ne doit pas nous faire oublier la réalité des faits. Dans son Rapport, « L’eau et les changements climatiques », l’Unesco détaille les interactions innombrables entre la gestion de l’eau et les différents secteurs, notamment celui de la santé. En 1994, la Journée mondiale de l’eau avait choisi comme thème « Les ressources en eau sont l’affaire de tous » ; en 1997, elle posait la question suivante : « Eau dans le monde, y en a-t-il assez ? » ; en 2 000, au tournant du siècle, elle s’interrogeait sur « L’eau du 21e siècle ». En 2023, ces trois thèmes ont pris une importance accrue, ce qui se traduit aujourd’hui, à travers les COP, par une mobilisation sans précédent de la communauté internationale et des coopérations exemplaires sur la question de l’eau.

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(1) Sources : Sciences & Avenir, février 2018.

 


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