Les régions face à la violence à l’égard des femmes et des filles: droits, gouvernance et actions efficaces pour une transformation mondiale

Neus Pociello

Directeur du Groupe d’Égalité de Genre de l’ORU Fogar 

 

La Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes marque le lancement annuel de la campagne mondiale des 16 jours d’activisme menée par les Nations Unies. Il ne s’agit pas d’une simple date commémorative ni d’une campagne symbolique : c’est un rappel de la dette non résolue envers la moitié de l’humanité. La violence à l’égard des femmes et des filles demeure l’une des violations des droits humains les plus répandues et les plus systématiques au monde. Selon ONU Femmes (2024), près d’une femme sur trois a subi des violences au cours de sa vie – un chiffre qui, comme nous le verrons, est sous-estimé, car les enquêtes officielles n’incluent pas toutes les femmes, ce qui rend cette sombre réalité encore plus vaste et plus invisible.

Les organisations de défense des droits des femmes et des filles alertent sur le fait que l'ampleur réelle des violences dépasse largement les chiffres officiels et soulignent comment les lacunes dans les données, la sous-déclaration et l'impunité dissimulent chaque année des centaines de milliers de féminicides et autres formes de violences sexistes à travers le monde. De plus, moins de 0,2 % de l'aide internationale parvient aux organisations de défense des droits des femmes à la base, et nombre d'entre elles ont été contraintes de suspendre leurs programmes en raison des coupes budgétaires, ce qui compromet la prévention, le dépistage précoce, le soutien et la réparation. L'Organisation mondiale de la Santé reconnaît les violences sexistes comme un problème de santé publique mondial, et les Nations Unies les considèrent comme une menace directe pour la paix, la sécurité et la démocratie.

Ces chiffres ne sont pas de simples statistiques : ils révèlent une structure de pouvoir qui perpétue les inégalités, les discriminations et les violences faites aux femmes et aux filles dans tous les aspects de la vie. De plus, les enquêtes officielles continuent d’exclure la majorité : elles n’atteignent pas les filles, les femmes âgées, les femmes racisées, les femmes vivant en milieu rural ou les femmes en situation de handicap, parmi tant d’autres personnes incluses dans l’expression plurielle « femmes et filles », une catégorie qui reflète une diversité de subjectivités, de parcours et de réalités vécues. Cette exclusion systématique fait partie intégrante du problème.

La violence à l’égard des femmes et des filles est structurelle et interconnectée. Elle touche les sphères personnelle, sociale, politique, économique, numérique et environnementale ; elle se manifeste par la pauvreté, les inégalités salariales, le contrôle du corps des femmes, l’accès restreint à la justice et la faible représentation au sein des institutions. Persistante, elle est exacerbée par les déplacements forcés liés au changement climatique, l’accès limité aux ressources naturelles, la pauvreté structurelle héritée du néocolonialisme ou les conflits armés. Face à cette réalité, il est impératif de s’attaquer aux causes structurelles de la violence sexiste et d’élaborer des réponses garantissant l’équité dans la reconnaissance et l’exercice des droits, sans laisser personne de côté – un principe fondamental de la justice distributive et de l’Agenda 2030. Il est également nécessaire de reconnaître les femmes et les filles comme actrices du changement, titulaires de droits dotées d’une capacité d’action politique et de stratégies collectives qui soutiennent les communautés et les économies – y compris les systèmes de prise en charge.

générer du développement social et économique et maintenir des réseaux de résilience et de réparation collectives.

Dans ce contexte, il est essentiel d’examiner le rôle des institutions, notamment des gouvernements régionaux. Le travail soutenu des mouvements citoyens a transformé, dans différents contextes, leurs relations avec les institutions : ce qui, pendant des décennies, s’est traduit par des réponses fragmentées, réactives et partielles, a cédé la place, dans certains territoires, à un modèle de coopération. Dans ce cadre, les gouvernements régionaux apparaissent comme des acteurs clés : de par leur proximité avec les populations, leur capacité de planification et leurs responsabilités directes dans des domaines essentiels tels que la santé, l’éducation, l’emploi, le logement, la protection sociale et l’aménagement du territoire. Et de fait, dans l’écosystème international actuel, les régions sont reconnues comme des acteurs à part entière, malgré les difficultés persistantes qu’elles rencontrent pour influencer les agendas multilatéraux.

Cela ne signifie pas que toutes les régions progressent au même rythme – les disparités territoriales sont importantes et, dans de nombreux endroits, les politiques restent inexistantes ou insuffisantes – mais il existe des exemples clairs du potentiel transformateur des régions lorsqu’elles agissent de manière cohérente dans le respect des droits humains et de l’égalité des genres. Le gouvernement de Catalogne (2021-2024), la province de Cordoue (Argentine) et la province de Pichincha (Équateur), lauréats du prix ORU FOGAR des meilleures pratiques régionales, ont démontré qu’il est possible de mettre en œuvre des politiques publiques transformatrices et transversales grâce à la participation soutenue des organisations de défense des droits des femmes. Leur rôle n’est ni complémentaire ni périphérique : il est indispensable. Limiter leur participation constitue, en soi, une forme de violence institutionnelle.

Même les expériences les plus marquantes ont un point commun : sans un leadership politique clair et engagé, et sans ressources suffisantes et prévisibles, ces politiques perdent de leur efficacité et de leur pérennité. Faute de financement durable, l’engagement multilatéral en faveur des droits humains des femmes et des filles reste souvent lettre morte ; garantir des ressources stables, l’autonomie institutionnelle et des partenariats horizontaux est une condition essentielle à toute politique publique visant à prévenir, combattre et réparer les violences sexistes.

Cela rejoint un autre défi majeur : les inégalités de genre continuent de façonner la gouvernance infranationale. Dans le monde, seule une présidence régionale sur cinq est occupée par une femme, et moins d’un tiers des postes de direction infranationaux de haut niveau sont occupés par des femmes (ONU Femmes/UIP 2024). Ce déséquilibre reproduit les rapports de force qui alimentent la violence et limitent la portée des politiques publiques. Garantir la représentation des femmes au sein des institutions est donc une condition essentielle à la qualité de la démocratie, à la transparence et à l’efficacité institutionnelle.

Dans ce contexte, le multilatéralisme régional ne peut être efficace pour lutter contre les violences sexistes que s'il repose sur la reconnaissance des savoirs situés des femmes et des filles, et s'il existe des espaces de dialogue formels, stables et décisionnels.

Il ne saurait y avoir de véritable justice ni d'égalité sans une participation démocratique significative, ni de coopération efficace sans réciprocité. Les partenariats multipartites – entre institutions publiques, organisations de défense des droits humains, monde universitaire, communautés locales, économie sociale et solidaire et, sous un strict cadre réglementaire, secteur privé – sont indispensables pour susciter des réponses coordonnées et transformatrices. Le Forum de partenariat de l'ECOSOC 2025 a souligné la nécessité de réseaux reliant les niveaux mondial et local, permettant le partage des connaissances et amplifiant la voix des groupes historiquement exclus. Lorsque cette collaboration est stable, transparente et partagée, la transformation devient une politique publique efficace.

Tout ceci est d’autant plus pertinent dans un contexte marqué par la montée de mouvements et de discours qui contestent les droits fondamentaux, érodent le consensus international et cherchent à anéantir les progrès accomplis en matière d’égalité des sexes et d’élimination de toutes les formes de violence sexiste. Cette réaction violente – qui mêle désinformation, affaiblissement institutionnel et tentatives de délégitimation des organisations de défense des droits des femmes – a un impact direct sur l’action publique. Dans ce contexte, les régions – en tant qu’échelons de gouvernement fortement ancrés territorialement et proches des communautés – sont indispensables pour faire respecter et protéger les engagements et obligations relatifs aux droits humains des femmes et des filles.

Cette approche est conforme aux principaux cadres et instruments des Nations Unies – la CEDAW, le Programme d’action de Beijing, le Programme 2030, le Pacte pour l’avenir et le Nouvel Agenda pour la paix – qui considèrent les progrès en matière d’égalité des sexes et d’élimination de la violence fondée sur le genre comme des conditions préalables à des sociétés saines, sûres et démocratiques. La prochaine CSW70, axée sur l’accès à la justice pour toutes les femmes et les filles, constituera un test crucial de cet engagement. La justice n’est pas seulement une construction juridique : elle englobe la réparation, la reconnaissance et une participation effective. Les régions peuvent contribuer à garantir que la justice soit accessible à tous les territoires et à toutes les femmes et les filles, que leur voix soit entendue et que leurs droits soient effectivement respectés.

En définitive, la violence à l’égard des femmes et des filles n’est ni une fatalité ni un problème individuel : c’est un échec institutionnel et collectif. L’éradiquer est une obligation en matière de droits humains, et les solutions n’ont pas à être inventées de toutes pièces : elles existent déjà au sein d’alliances interrégionales et mondiales, grâce à l’expertise des organisations de femmes qui œuvrent quotidiennement au niveau local, et grâce à des actions soutenues menées sur l’ensemble des territoires. Lorsque les régions prennent l’initiative, travaillent en partenariat avec de multiples acteurs et agissent de concert avec la société civile, elles peuvent constituer le facteur décisif qui transforme les engagements internationaux en garanties réelles et applicables du droit fondamental de toutes les femmes et les filles à vivre à l’abri de la violence.


© All rights reserved ORU. Barcelona 2025