Journaliste et consultant en environnement ; auteur, entre autres, de "Future european environmental policy and subsidiarity" et de "Des entrepreneurs verts pour une planète bleue".
L'atténuation du changement climatique et l'adaptation à celui-ci constituent le plus grand défi auquel l'humanité est confrontée et, en même temps, une grande opportunité pour la souveraineté et l'autosuffisance énergétique régionale. Nous assistons à la fin d'un cycle appelé "révolution industrielle". Pour les sociétés qui n'ont pas réussi à en prendre pleinement conscience et qui, par conséquent, n'en ont pas subi les ravages, c'est l'occasion de faire le saut vers l'ère solaire.
Il n'existe pas de comptabilité économique capable de donner une forme monétaire aux coûts du changement climatique. L'Agence Internationale de l'Énergie ose rappeler que la transition énergétique, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, nécessitera une dépense de 42 000 milliards de dollars. Cependant, en comptant sur la participation décentralisée et efficace des régions et des municipalités, il serait possible de réduire considérablement cet énorme investissement.
Le plus inquiétant pour la plupart des forums de débat sur la transition énergétique et l'urgence climatique est le fait que les scientifiques nous avertissent de la nécessité d’agir rapidement afin d’éviter qu'en 2030 la température moyenne de la planète ne dépasse pas 2 degrés Celsius et, à la fin du siècle, 5 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels. Une hausse de temperature de cette ampleur rendrait le monde invivable et entrainerait la fuite de centaines de millions de réfugiés climatiques vers les régions plus tempérées. L'ingénierie environnementale ne pourra pas arrêter l'impact de la fonte des glaces, de la montée des eaux et de la disparition des deltas. Dans la première phase, les vagues de chaleur, les ouragans, les inondations et les sécheresses s'intensifieront, affectant les régions et pays vulnérables tels que ceux de l'Asie du Sud-Est, des atolls du Pacifique et de l'océan Indien, d’Amérique latine, d’Afrique subsaharienne et du bassin méditerranéen.
Chaque degré d'augmentation de la température absorbera davantage d'eau, ce qui provoquera des chutes de neige massives en hiver, des pluies torrentielles au printemps et des sécheresses, des incendies et des ouragans en été. Un "totum revolutum" météorologique dont nous avons déjà commencé à percevoir les symptômes. Au cours des 50 dernières années, la moitié des masses de glace de la chaîne de montagnes volcaniques des Andes a disparu. Les glaciers tropicaux, principalement dans les Andes, situés au Pérou, en Bolivie, en Colombie, au Venezuela et en Équateur, sont les plus vulnérables au réchauffement climatique. La fonte des hautes montagnes de Bolivie affectera des centaines de villages qui dépendent de leurs eaux. La même chose se produit dans les Alpes suisses et dans les Pyrénées, où il ne reste plus que quelques glaciers. 90% de la glace qui se trouvait sur le Kilimandjaro en 1912 a disparu, un phénomène qui se produit également dans les montagnes de l'Himalaya.
Un autre signe du changement climatique est la diminution de production agricole provoquée par les sécheresses et les vagues de chaleur dans les cultures céréalières, qui a été multipliée par trois au cours des 50 dernières années (en Méditerranée, elle a représenté une réduction de 7% de la production céréalière). À cette réalité s'ajoute l'impact environnemental des engrais azotés, une bombe pour la santé humaine, l'air, l'eau et le sol. Dans le monde, 130 millions de tonnes d'engrais azotés sont commercialisés chaque année, ce qui nécessite autant de tonnes de pétrole pour être produits. Une moitié seulement est absorbée par les plantes, pendant que l’autre s'ajoute aux gaz à effet de serre. N'oublions pas que l'agriculture est responsable de 12 % des émissions, ce qui obligera à une reconversion profonde du secteur vers l'agroécologie. De nombreuses régions d'Afrique et d'Amérique Latine trouveront dans l'agriculture biologique un moyen de régénérer les champs et de nouvelles possibilités de créer de nouveaux emplois.
La pandémie que nous avons vécue - qui a gravement touché l'Amérique latine, entraînant une baisse de son PIB de 8 à 10 % - est directement liée à la crise écologique et climatique. Les écologistes et les experts en sciences de la Terre, marginalisés des conseils consultatifs sur le Covid-19 créés par les gouvernements et composés d'épidémiologistes et de médecins, n'ont pas été en mesure de l’expliquer en profondeur.
Pour 85% de la planète, il est déjà moins cher de produire de l'électricité à partir d'énergies renouvelables. Au cours de la dernière décennie, le coût de l’énergie solaire photovoltaïque a chuté de 82 %, l'éolien terrestre de 39 % et l'éolien marin de 29 %. C'est le moment idéal pour les régions d'encourager la création de parcs éoliens et de champs solaires de petite et moyenne taille, ainsi que d'installations solaires sur les toits des villes gérées par des associations de quartier, des municipalités ou des coopératives de consommateurs. Leurs États respectifs auront également l'occasion d'exercer une influence stratégique sur le nouvel ordre en exportant de l'énergie verte et en contrôlant les nouveaux matériaux nécessaires à la mobilité électrique et à l'extension du numérique. Par exemple : 20 % du lithium mondial se trouve en Bolivie, mais aussi au Chili, en Argentine et en Australie. D'ici 2050, 50 millions de véhicules électriques seront construits, ce qui nécessitera 40 millions de tonnes de lithium. Une opportunité également pour le Congo avec le cobalt, pour la Nouvelle-Calédonie avec le nickel ou pour le Groenland avec les terres rares.
La transition énergétique doit également être une grande opportunité pour étendre l'électrification et pour que l'Amérique latine fournisse de l'électricité à 24 millions de personnes et un accès à Internet à 40 millions de foyers.
Le développement des énergies renouvelables a créé 11,5 millions d'emplois dans le monde au cours de l'année 2019. En Amérique latine et dans les Caraïbes, les prévisions pour 2030 indiquent que 15 millions de nouveaux emplois seront générés, selon l'Organisation Internationale du Travail (OIT) et la Banque Interaméricaine de Développement (BID).
La fiscalité verte est indispensable pour une mise en œuvre équitable de la transition énergétique. Taxer les émissions de gaz à effet de serre (taxe carbone) et subventionner les entreprises qui démontrent la durabilité du cycle de vie de leurs produits (économie circulaire) doit être un des objectifs des gouvernements régionaux.
La transition énergétique, à l'échelle régionale et appliquée selon le principe de subsidiarité, pourrait comporter certaines de ces mesures régénératrices : 1) Articuler un investissement transformateur majeur dans la région au cours des 30 prochaines années, convenu avec les banques et les fonds d'investissement verts; 2) Approuver une loi sur la Transition Énergétique et des ordonnances sur l'énergie solaire dans les municipalités ; 3) Affecter un pourcentage du PIB de la région à la R&D dans le domaine de l'énergie ; 4) Développer un plan d'énergies renouvelables, des systèmes de stockage de l'énergie, de nouveaux systèmes de transport et de mobilité, une architecture durable et améliorer les processus de production industriels, agricoles et de services ; 5) Créer des réseaux distribués et de nouvelles formes intelligentes d'énergie ; 6) Travailler sur la planification territoriale basée sur le concept de biorégion en respectant la capacité de charge et en contrôlant l'empreinte écologique ; 7) Développer des normes techniques de conduite pour définir et faciliter la réduction de la consommation par l'efficacité des processus ; 8) Inciter ou pénaliser la consommation de ressources fossiles par le biais de la fiscalité, de tarifs ou d'écotaxes ; 9) Les ressources, si possible, doivent provenir essentiellement de personnes et d'organisations de la région ou du pays ; 10) Concevoir le gouvernement de manière transversale et assurer la gestion politique de la transition énergétique avec un Conseil d'Experts sur le Changement Climatique et sur les pandémies.
Qu'en est-il de la participation démocratique, me direz-vous. À mon avis, les gouvernements régionaux doivent promouvoir les conventions de citoyens sur le changement climatique comme un moyen de lier la société civile et les consommateurs à la révolution que la transition énergétique entraînera dans l'alimentation, les transports, le travail, l'éducation.
Enfin, permettez-moi de vous rappeler qu'il n'y a, et qu'il n'y aura, aucun vaccin pour lutter contre le changement climatique. Alors, agissez et regardez longuement et attentivement.